Des méfaits de l'interdiction totale du niqab dans l'espace public.

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Mardi 11 mai 2010, l’Assemblée Nationale votait une résolution, à l’initiative du président de groupe de l’UMP, sur « le respect des valeurs républicaines face au développement de pratiques radicales y portant atteinte ». Le groupe socialiste, au nom de notre idéal républicain, a voté un texte aux orientations générales sur lesquelles il était difficile d'être en désaccord. Les pratiques « radicales attentatoires à la dignité et à l’égalité entre les hommes et les femmes » y étaient dénoncées. Les députés réaffirmèrent leur « attachement au respect des principes de dignité, de liberté, d’égalité et de fraternité entre les êtres humains ». L’Assemblée Nationale souhaitait que « tous les moyens utiles soient mis en œuvre pour assurer la protection effective des femmes qui subissent des violences ou des pressions ». Au-delà de ces déclarations de principe propres à une résolution parlementaire, il n’en est pas fini de la polémique et des arrières pensées politiques  quant au dossier de l’interdiction du voile intégrale. La question de l’élargissement de sa portée à l’ensemble de l’espace public soulève des questions fondamentales. Nouvel avatar de l’hyperactivité législative, lointaine héritière du « légicentrisme » à la française, le projet de loi du Gouvernement a été examiné en Conseil des ministres le 19 mai 2010 ; une loi pour répondre à un « problème » qui, à en croire les chiffres du Ministère de l’Intérieur, ne concerne que 1.900 cas en France. L’heure n’est donc plus à réfléchir sur le bien-fondé de la démarche. Rappelons les arrières pensées politiques de très court terme pour mieux comprendre les conséquence d'un vote déjà quasi acquis en faveur de l'interdiction totale du niqab dans l’espace public. Ce succès démagogique bien éphémère du Gouvernement et du groupe parlementaire UMP se transformera tantôt en victoire à la Pyrrhus, non seulement pour le gouvernement mais pour la communauté républicaine dans son ensemble. Un lourd prix à payer se profile, Janus inquiétant entre recul de l’état de droit  et  consécration de notoriété pour un groupuscule sectaire.

 

Quand bien même nous assistons en Europe au développement de la pratique du voile intégrale, il n’est pas inopportun de rappeler le contexte politique choisi par la majorité présidentielle pour apporter une solution hasardeuse à un problème qu’elle s’est bien efforcée de mettre en valeur. Des premiers refus légitimes de naturalisation, au débat hasardeux sur l’identité nationale menée par Eric Besson, la majorité présidentielle n’a eu de cesse de jouer avec la question du niqab pour fidéliser l’électorat de l’extrême droite. Le Président de la République, dans le premier discours de notre histoire républicaine d’un chef de l’Etat devant le Parlement réuni en Congrès, consacrait une partie de son intervention à cette pratique qui, répétons-le concerne une infime minorité. Coup de projecteur inespéré pour les propagandistes du voile intégrale ! La campagne des régionales serait le catalyseur de cette nouvelle tentative de conquête électorale des votes extrêmes souvent en délicatesse avec notre passé colonial. La défaite sans précédent qui s’en suivit ne pouvait conduire l’UMP qu’à faire preuve de toujours plus de fermeté et ce faisant d’autisme pour imposer un projet de loi mal taillé.

 

En optant délibérément pour une interdiction totale du niqab dans l’espace public, François Fillon n’a pas caché son intention de « prendre un risque juridique » pour faire évoluer la jurisprudence. Quelle légèreté à assumer avec autant d’assurance un « risque juridique », de faire fi des recommandation du Conseil d’Etat pourtant conseiller du gouvernement ! L’interdiction totale dans l’espace publique sera nécessairement dérogatoire des grands principes de Liberté, tant en matière de déplacements que de droit au respect à la vie privée, de droit de manifester ses convictions. Elle sera contraire aux Principes Généraux du Droit. Les articles 4,5 et 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen accréditent ce risque, mais qu’importe… Robert Badinter nous avait prévenu : « nous sommes dans une période sombre pour notre justice ». Le gouvernement ne s’embarrasse pas de scrupules et n’hésite pas à écorner notre Etat de Droit, socle le plus précieux du vivre ensemble de la communauté républicaine. L’ « hyper Président » bouscule les convenances comme il malmène les libertés fondamentales. La réforme de France Télévision avec la nomination de son Président se paye par une atteinte à la Liberté, au pluralisme et à l’indépendance des médias. Les « limogés du Président » s’agrègent en un impressionnant cortège de haut fonctionnaires tombés en disgrâce faute à une humeur présidentielle froissée par  la tournure de manifestations à Saint Lô, de l’affaire Clavier en Corse ou de la fusillade de Carcassonne. Le nombre de fichiers de police est en constante hausse ; plus d’une cinquantaine aujourd’hui contre une trentaine en 2006. Plus d’une vingtaine de lois sur la sécurité ont été votées après la campagne présidentielle de 2002, opposant Jean Marie Le Pen à Jacques Chirac, sur le thème de l'insécurité. Le principe de dangerosité surclasse désormais celui de culpabilité, excroissance pénale d’un principe de précaution sécuritariste. Il en fut ainsi de la loi de février 2008 sur le maintien en détention au nom du seul critère de sa dangerosité, comme de la proposition de loi sur les bandes de juin 2009, rapprochant le phénomène de « l’association de malfaiteurs ». En France, point de « Patriot Act » pour écorner l’Etat de Droit. Il suffit de laisser le fait divers dicter l’activité législative. L’interdiction totale du niqab dans l’espace public y apportera ainsi sa contribution.

 

Le gouvernement y aura gagné une bataille sur l’opinion publique, dont un sondage sera venu opportunément clôturer la séquence et valider le bien-fondé de l’effet d’information. Il y aura une majorité sondagière pour valider le choix gouvernemental en faveur d’une loi d’interdiction totale. François Fillon et Jean François Copé crieront victoire, … victoire à la Pyrrhus, avertissions-nous en introduction à ce propos. L’imam de la mosquée égyptienne d’Al Azar, dans un entretien au quotidien Al Arabiya, le 30 juin 2009, comme autorité de l’islam sunnite rappelait que le port du niqab pour la femme musulmane n’avait rien d’une obligation religieuse. Il renvoyait ce débat au seul cadre hexagonal. Nous avons un peu trop éludé dans ce débat que nous étions engagé dans un combat politique, extérieur à nos principes de laïcité comme le rappelait le Conseil d’Etat. Dans l’effet d’information sur le niqab, nous retrouvons des groupuscules se réclamant du Salafisme. Eloignés de l’histoire de l’Islam, ils aspirent à une légitimité sur la communauté des croyants.  Pour Dounia Bouzar, anthropologue et chercheur associé à l’observatoire du fait religieux,  ces groupuscules sont des mouvements sectaires, au sens étymologique de « séparer ». Ces derniers n’hésitent pas à « excommunier » les autres formes de l’Islam. Par la provocation, ils conduisent nos régimes parlementaires à se prononcer dans l’urgence sur une pratique aussi inacceptable que le port du niqab. Imprécis juridiquement, ces textes législatifs ne résisteront pas à l’analyse sérieuse des plus hautes juridictions, offrant ainsi la notoriété tant attendue à ces mouvements sectaires. Demain, ils pèseront sur les échéances électorales au sein du Conseil français du Culte Musulman.

 

La limitation de l’interdiction du niqab aux services publics et aux transports publics serait une solution de sagesse, au regard de notre Etat de Droit. En soulevant le problème juridique du champ d’application de la future loi, dans le contexte du rapport contestable entre majorité présidentielle et libertés fondamentales, il serait judicieux de reprendre la position du Haut Conseil à l’Intégration en faveur d’un code ou d’une charte de la laïcité. Elle serait un moyen efficace de compléter la loi de 1905 sur des aspects qui n'avaient pas été prévus à l'époque et nous prémunirait de ces encouragements à cette pratique choquante du voile intégrale. Notre pacte républicain est fragile. Ce gouvernement lui témoignetrop de légèreté en malmenant l'Etat de Droit. Notre seule urgence est de rétablir l’unité républicaine.

Publié dans Engagements et humeurs

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