Franz-Olivier Giesbert, Derniers carnets... enfin !
Franz-Olivier Giesbert a au moins une bonne nouvelle à nous annoncer dès l'introduction de ses Derniers Carnets : « ceci est mon dernier livre politique. Je voudrais tourner la page et me consacrer uniquement aux romans ou aux biographies » (p.9) Mais pourquoi diable avoir autant attendu pour mettre à exécution ce projet littéraire ? Pourquoi ne pas avoir écouté ce conseil de François Mitterrand : « vous n'avez pas d'oeuvre, vous faites surtout des pochades politiques. Si je peux me permettre, ne m'en voulez pas, ce n'est pas gentil ce que je vais vous dire, mais vos romans se font attendre » (p.63). Le présent ouvrage ne manque pas de talent d'écriture mais il est irrémédiablement entaché par un péché d'égocentrisme. Au terme d'une campagne électorale importante pour notre pays, nous étions en droit d'attendre un éclairage saisissant des postures adoptées par les différents candidats. A trop vouloir côtoyer ce monde des bêtes politiques, le journaliste aura sans doute fini par en adopter les travers. Où sont les frontières entre les médias et la représentation politique ? En usant, jusqu'à l'in-intérêt, de références à sa propre vie privée, Giesbert brouille les frontières comme pour mieux apparaître en égal des puissants. L'ouvrage se réduit alors à ses marqueurs idéologiques originels, comme un énième témoignage d'un déclinologue fantasmant sur le déclassement de la France.
Une occasion manquée.
L'ouvrage pourrait nous proposer une typologie des dirigeants politiques, ou tout du moins nous apporter l'éclairage d'un observateur de premier plan sur la dernière campagne électorale. En 1977, Roger Gérard Schwartzenberg, avec l'Etat spectacle, nous dressait le constat implacable d'un glissement des modes de fonctionnement politique, à l'heure de la communication de masse : « Ainsi meurt la démocratie. Le citoyen se transforme en simple spectateur d'un pourvoir toujours en représentation ». En 2009, procédant à la réactualisation de son précédent ouvrage, Schwartzenberg complétait sa typologie des postures politiques en prêtant à Nicolas Sarkozy les traits du « leader de charme » et à Ségolène Royal ceux de la proximité et de « monsieur tout le monde ». Un parallèle évident sauterait aux yeux avec la posture adoptée par François Hollande. Sous la plume de Franz Olivier Giesbert, la normalité du nouveau Président de la République se rapproche des traits du « leader de proximité » : « Il y a chez lui quelque chose d'humble et d'équlibré qui rompt avec cinq ans de sarkozysme flamboyant et foutraque » (p.19) Mais la réflexion achoppe sur l'égo de l'auteur qui ne peut pas s'empêcher de truffer son récit d'anecdotes visant à le placer dans la posture du confident des puissants.
Victor Hugo, ou journaliste de cour ?
Le journaliste de cour revêt les traits d'une courtisane emplumée et finissante, se pâmant au moindre compliment du Prince. Ainsi, un aveu de Franz Olivier Giesbert laisse pantois. Alors que Nicolas Sarkozy le complimente sur sa ligne, calorique plus qu'éditoriale, le journaliste se laisse aller à la confidence : «chaque fois, je me laisse prendre et rougis de contentement. Tout ce qui me reste d'ego s'est réfugié dans mon pauvre corps vieillissant qui lutte, avec plus ou moins de succès contre le surpoids et l'accroissement de moi-même » (p.71). Reste encore à parfaire le portrait du Président sorti. Bien loin des écrits de Saint Simon sur la cour de Versailles et comme pour mieux brider son talent, voir céder à cette mode littéraire insupportable à mes yeux, Giesbert sombre dans la trivialité chic « Sarkozy s'y prend mal. Trop pressé, trop envahissant, trop sûr de lui. Sans être farouche, j'ai besoin de préliminaires comme toutes les femmes » (p.68). Au delà de cet aveu de courtisanerie qui qualifie assez bien ses relations à la classe politique dirigeante, l'auteur des carnets se laisse aller jusqu'au dérapage scatologique pour décrire l'ancien Président de la République comme « un gougnafier. Le genre tellement sans gène qu'il en met partout jusque sur les murs, avant de sortir la tête haute du petit endroit et se glorifier de sa propreté en guettant les regards approbateurs » (p.107).
Peut-il s'imaginer dans le costume de Victor Hugo fustigeant ce prince-président en l'affublant pour l'éternité et face au jugement de l'histoire du sobriquet de Napoléon le petit ? Perdu sur le rayon librairie des supermarchés, au beau milieu de dizaines de titres tout aussi prêt à consommer ou prêt-à lire, les présents carnets ne peuvent prétendre au statut de pamphlet. Nicolas Sarkozy en est réduit à « son incroyable confiance en soi de Napoléon de poche, toujours en autopromotion : inutile de convoquer la psychanalyse » (p.75) ou à son « cynisme de Machiavel de Lion's club », formule somme-toute plus publicitaire que produit d'une réflexion politique. Ces carnets sont un produit commercial dont son auteur a veillé a organiser lui même la promotion et le service « avant vente ».
Idéologie commerciale du déclin.
Reconnaissons à Franz Olivier Giesbert un talent pour l'auto-promotion. Au regard de ses qualités journalistiques et de sa longue expérience de cour auprès de la classe dirigeante, il a été l'invité de nombreux plateaux de télévision pendant la campagne électorale. Telles Les mains se dessinant de Maurits Cornelis Escher, FOG a disposé d'une tribune régulière pour alimenter la rédaction de son propre livre. Il en est ainsi de l'émission de David Pujadas, Des paroles et des actes, où Giesbert prenait la posture du sage pour se livrer à l'analyse de l'émission écoulée en présence des candidats à l'élection présidentielle. L'occasion était trop belle pour ne pas vendre sa formule choc des « trente honteuses », comme prolongement dépensier des « trente glorieuses » de modernisation nationale. C'est ainsi qu'avec la livraison de cet ouvrage, Giesbert peut s'offrir le luxe de mettre sa propre expression entre guillemets comme si elle lui garantissait déjà la postérité grâce à la paternité des... « « trente honteuses »... »(p.104)
L'ouvrage apportera sa contribution à la théorie du déclin qui structure une partie de la pensée traditionnelle de la droite nationale française. Franz Olivier Giesbert ne peut pas être pris en défaut sur ses convictions démocratiques mais son ouvrage emprunte un itinéraire idéologique trop bien connu et qui impute la responsabilité de la dette à l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Tel Eugène Delacroix nous livrant La Grèce expirant sur Les Ruines de Missolonghi, les déclinologues du temps présent nous dressent le portrait d'une France irrémédiablement rabaissée et soumise aux exigences de remboursement des dettes publiques. « Avec son Premier ministre Raymond Barre, le sortant, Valérie Giscard d'Estaing avait laissé une économie nickel chrome, pratiquement sans déficit ni endettement, après avoir géré coup sur coup deux chocs pétroliers dévastateurs. Les socialistes ont donc pu dépenser sans compter » (p.100)Seule concession à de possibles responsabilités de la droite au pouvoir, l'auteur des carnets poursuit sa vieille lubie de la dénonciation du balladurisme : « Nicolas est tout de suite retombé dans le balladurisme. Un courant politique que les politologues complaisants ont classé dans la famille orléaniste, alors qu'il n'est en réalité, que sa dégénérescence : un mélange d'affairisme et de goinfrerie »(p.97).
Attention au dérapage idéologique.
C'est assurément le pendant le moins reluisant de la formule publicitaire des « trente honteuses », la face la plus sombre de ce Janus gazetier, le versant plus idéologique de ce qui ne devait être qu'un constat économique. A force de « se voir dégringoler si vite la pente du déclassement » (p.174), Franz Olivier Giesbert, par facilité, en vient à user d'une rhétorique aux relents contestables. Je garde toujours en mémoire ces ennemis de la République qui dénoncèrent « les relents de pourriture parfumée qu'exhale encore la vieille putain agonisante, la garce vérolée, fleurant le patchouli et la perte blanche, la République toujours debout sur son trottoir» de Robert Brasillach, dans Je suis partout, le 7 février 1942. Giesbert est un esprit brillant, démocrate et qui ne peut pas être soupçonnable de sympathie pour l'extrême droite. Pourtant à vouloir se complaire dans la grande complainte du déclin, sa plume finit par déraper sur ces versants malodorants : « De Gaulle a porté jusqu'à la fin des années 60 le cadavre de la France en faisant croire qu'elle était vivante. Depuis lors, on dirait que nos politiciens l'ont laissée se décomposer dans un cul de bas de fosse. Des odeurs ne trompent pas. Les vers et les mouches prolifèrent sur la dépouille mortelle »(p.174)