C'est le logement social qu'on assassine

Publié le par Fabien Ruet

Tribune libre. Fabien RUET, Vice-président en charge de l'Habitat, Communauté d'Agglomération Bergeracoise

Tribune libre. Fabien RUET, Vice-président en charge de l'Habitat, Communauté d'Agglomération Bergeracoise

Depuis quelques semaines, je m’efforce de rencontrer l’ensemble des acteurs du logement social sur le territoire de l’agglomération et de Bergerac. Cette mobilisation s’explique par la menace mortelle qui plane aujourd’hui sur l’écrasante majorité des acteurs de ce secteur. Ne balayez pas trop vite la question, au motif de nos vieux réflexes vis-à-vis du monde HLM d’autrefois. Ne perdez jamais de vue que 80% des Bergeracois peuvent prétendre à un logement social et que derrière chaque construction de logement, c’est de l’emploi, de l’activité économique et une promesse de vie meilleure. L’Agglomération Bergeracoise dénombre pas moins de 3.200 logements sociaux sur son territoire, regroupés sur 15 communes. Plus de 5 .000 habitants, à Bergerac, vivent dans des quartiers prioritaires au titre de la Politique de la Ville. Si les bailleurs sociaux flanchent, c’est notre territoire qui plonge un peu plus dans la précarité.

Dès lors, la baisse de 60 euros de tous les loyers du parc HLM a des conséquences considérables pour l’économie bergeracoise mais surtout sur la vie quotidienne de nos administrés. Pourquoi ?

 

Rappelons que depuis le 20 septembre dernier, le gouvernement a dévoilé sa « stratégie Logement ». Il s’agit d’orientations qui bousculent considérablement l’univers du logement social. L’Etat souhaite réaliser 50 milliards d’euros d’économie et la question du financement du logement social en est pour lui la principale source. Son raisonnement est caricatural. Bercy serait conduit à financer deux fois le logement social : une première fois en amont, en finançant la construction de logements sociaux et une seconde en finançant l’APL. Oubliant que ce dernier financement résulte de la paupérisation de la population, il souhaite mettre en cause ce lien entre les deux financements. En clair, ce n’est pas normal de verser autant d’APL alors que l’Etat finance des logements pour que les coûts de la construction et les loyers soient moins chers. Donc, raisonnement de l’Administration des Finances Publiques : il faut baisser les loyers et pour y parvenir on baisse l’APL de 60 euros. C’est un raisonnement par l’absurde et dont les conséquences se font ressentir sur les bailleurs sociaux et sur les conditions de vie des locataires.

 

La baisse des loyers entrainera une perte de plus de 100 millions d’euros par an à l’échelle de la Nouvelle Aquitaine. Comment cela se traduira-t-il  en Bergeracois ? Certains bailleurs seront incapables de boucler un budget en équilibre. Ce sera le cas pour des petites structures. Mais cela risque aussi être le cas, pour le bailleur social départemental, Dordogne Habitat, pour qui la baisse des loyers entraîne une perte qui avoisinerait 1,5 millions d’euros. Des choix budgétaires devront être faits par notre principal bailleur, en Bergeracois, Mésolia Habitat (ex Périgordia Habitat, ex SA HLM de la Dodogne) pour qui la perte est estimée entre 7 et 10 millions d’euros.  Aujourd’hui, Mésolia gère à Bergerac près de 80 % du parc social. Il faut comprendre qu’une telle perte de ressource représente plus de la moitié des sommes consacrées à l’entretien courant du parc de logement et près de 75% des capacités d’autofinancement de la construction neuve.

 

La conséquence directe de cette baisse des loyers, imposée aux seuls bailleurs sociaux, se traduira nécessairement par un effondrement du nombre de constructions neuves (alors même que nous sommes soumis à des obligations de construction liées aux 20 à 25% de logements sociaux) et par une dégradation du parc de logements sociaux , faute à des futurs budgets d'entretien suffisants. La stratégie de la baisse des loyers a déjà été menée au Portugal et aux Pays Bas. Cela s’est traduit par un arrêt net des constructions, une ghettoïsation des publics et des problèmes d’entretien sur les logements. Il faut être clair : c’est le centre-ville de Bergerac qui va le plus souffrir de cette politique. Cette partie de l’agglomération détient entre 29 et 34% de logements sociaux selon le secteur. Est-il envisageable de voir ces logements se dégrader, faute d’un entretien suffisant ? Est-il humainement et socialement acceptable de considérer que seules les populations les plus pauvres seront parquées en Centre-Ville de Bergerac ? Il y aura, inévitablement, un effet domino, sur l'ensemble du cadre de vie et l'attractivité du Centre-ville.

 

Depuis presque 10 ans que j’exerce des responsabilités politiques, et presque toujours liées aux questions de logement,  je n'ai eu de cesse de rechercher la mixité sociale, de permettre à chacun de pouvoir se loger, de refuser les ghettos. Aujourd’hui, et pour la première fois, nous courrons un grand danger quant à la politique du logement social. En l'état, et comme nous l'avons évoqué en Conseil Communautaire, nous nous dirigeons vers d'importantes tensions et nous pourrions bloquer la conclusion de toutes les Conventions d'Utilité Sociale qui lient les Bailleurs Sociaux du territoire à l'Etat. Ces conventions doivent traduire pour chaque bailleur leur contribution aux enjeux nationaux et locaux en matière de logement social. La CAB sera signataire de ces conventions. Mais la contractualisation suppose le respect de tous les partenaires ; et les orientations de l'Etat ne sont pas acceptables.

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